Sunday 28 April 2019

NOTRE PASSION DES COMMÉMORATIONS

Nous venons d'apprendre que désormais, une date sera réservée chaque année à la commémoration du génocide arménien.

La France s'est distinguée ces dernières années par le développement d'une véritable passion pour la repentance, qui nous amène à réexaminer, de façon souvent anachronique, certains épisodes peu glorieux de notre propre passé: on peut citer, en désordre, l'esclavage, le colonialisme, la Saint-Barthélémy, les déportations des juifs se trouvant sur le territoire français pendant la deuxième guerre mondiale etc. 

Cependant, jusqu'à présent, ces exercices de repentance et ces commémorations avaient rarement dépassé les limites de nos frontières ou de notre histoire; si maintenant nous devons commencer à commémorer l'ensemble des génocides commis dans le monde entier à toutes les périodes de l'histoire, nous risquons fort de ne pas avoir de dates suffisantes pour les célébrer tous! On semble oublier que l'histoire de l'humanité n'est malheureusement qu'une longue suite de massacres, plus ou moins systématiques, depuis la nuit des temps.

Alors pourquoi commémorer le génocide des arméniens? Et pourquoi pas celui des Khmers? Celui du Rwanda, les massacres en Bosnie? Les massacres des harkis en Algérie après la décolonisation? Ou, en remontant un peu plus loin, les millions de morts en Chine lors du Grand bond en avant? La politique de dékoulakisation en Union Soviétique et la famine en Ukraine causées par Staline? Et encore plus loin, le sac de Constantinople par les croisés, ou les pyramides de têtes coupées soigneusement empilées par les mongols après le prise de Bagdad?

Y a t'il des génocides plus "politiquement corrects" que d'autres? Est-il de mauvais ton de rappeler les crimes commis par des régimes communistes? Est-il dangereux de rappeler des événements, tels que ceux du Rwanda ou de la Bosnie, dans lesquels le rôle du corps expéditionnaire français a souvent été mis en cause? Est-il risqué d'irriter le gouvernement algérien en rappelant sa responsabilité dans le massacre des harkis?

Entendons-nous bien, je n'ai rien contre les arméniens, qui de façon évidente, et comme malheureusement de nombreux autres peuples dans l'histoire, ont été victimes d'un génocide. Mais est-ce à nous, français, de revenir sur un passé qui concerne essentiellement les turcs et les arméniens, et dans lequel nous n'avons pas grand chose à voir. Par ailleurs, ont peut également comprendre que la République turque actuelle puisse éprouver quelques difficultés à endosser les crimes commis il y a plus d'un siècle par l'Empire Ottoman (même si malheureusement le gouvernement turc semble depuis quelques temps éprouver une certaine nostalgie de cet empire ottoman).

Alors, s'agit-il d'une opération bassement électorale visant à rallier  un électorat d'origine arménienne relativement nombreux en France? Ou est-ce justement parce que le génocide arménien est lointain, parce que nous n'avons rien à voir avec lui, et que le seul risque est de faire hurler le gouvernement turc pendant quelques jours, que le gouvernement français cherche à se donner à peu de frais un brevet de bien-pensance?

Protection du patrimoine et politique culturelle

L'incendie de Notre Dame, et les polémiques (souvent déplacées) qui ont accompagné l'élan de générosité des français, riches et moins riches, qui souhaitent participer à sa restauration, ont mis la lumière sur la grande misère et l'insuffisance criante des moyens alloués à  la politique de protection de notre patrimoine artistique et architectural.

Il est bien sûr heureux de voir affluer des crédits pour la remise en état d'un monument auquel nous sommes tous attachés au niveau émotionnel, mais il est en même temps surprenant de découvrir à cette occasion que de très nombreux monuments, moins spectaculaires et moins connus que Notre Dame, se trouvent dans un état alarmant de détérioration, simplement parce que l'Etat ou les collectivités territoriales ne sont pas capables de dégager les crédits relativement modestes nécessaires à leur entretien.

Face à ce manque de moyens, l'Etat, à juste titre, a mené ces dernières années une politique visant à associer de façon croissante le mécénat privé à ce travail de protection de notre patrimoine; cependant, il est évident que ce mécénat ne peut et ne doit pas se substituer à l'Etat, et que celui-ci doit conserver l'essentiel des responsabilités en matière d'orientation et de choix des priorités. Inévitablement, et on ne peut pas le leur reprocher, les mécènes seront plus intéressés par le financement des monuments connus, et en particulier de la partie visible de ces monuments: ravaler la façade de Notre Dame, dorer le dôme des Invalides ou les ornements du château de Versailles, sera toujours plus spectaculaire que réaliser les travaux d'étanchéité pour éviter des infiltrations d'humidité, ou refaire les installations électriques pour éviter les court-circuits et les risques d'incendie.

L'entretien et la protection de notre patrimoine ne peuvent donc pas dépendre exclusivement des bonnes volontés du secteur privé, et il est urgent que l'Etat dégage les crédits nécessaires pour assurer cette mission essentielle.

Mais, me dira t'on, où trouver l'argent? Faut-il adopter le discours du "toujours plus", à l'heure où tout montre que le niveau global de dépenses de l'Etat a atteint ses limites?

Eh bien, n'est-ce pas là l'occasion de procéder à un réexamen de ce que doivent être les missions de l'Etat en matière de politique culturelle, de se demander quels sont les domaines dans lesquels il est irremplaçable et doit intervenir directement et massivement, ceux dans lesquels il pourrait se limiter à fixer les grandes orientations, et enfin ceux dans lesquels il n'a rien à faire et dont il devrait se retirer? Ce réexamen des politiques publiques que j'appelais de mes vœux dans un article antérieur, et qui n'a jamais été sérieusement réalisé, pourrait trouver un champ d'application intéressant dans le domaine de la politique culturelle.

Sait-on que lorsque le Ministère de la Culture fut créé à la fin des années 50 sous l'impulsion d'André Malraux, le pourcentage des dépenses de ce ministère consacré à la préservation du patrimoine dépassait 30%, témoignant ainsi de la priorité qui était donné à ce domaine d'intervention dans l'action culturelle de l'Etat. Aujourd'hui, ce pourcentage est inférieur à 9%.

La question est-donc: où va le reste? Et ne pourrait-on pas abandonner ou réduire certaines dépenses peu utiles de l'Etat dans le domaine culturel pour les réaffecter à celui du patrimoine?

Quels sont les grands postes de dépense? Tout d'abord, le soutien à l'audiovisuel public, puis toutes les politiques de "soutien à la création artistique" (arts plastiques, musique, "spectacle vivant"), les théâtres subventionnés, le financement du cinéma, sans compter (bien que cela ne fasse pas directement partie du budget de la culture) les dépenses très importantes qu'implique le soutien public au régime scandaleux de protection contre le chômage des intermittents du spectacle.

Est-on bien sûr que tous ces crédits sont indispensables et bien employés? Dans de nombreux pays, le secteur audiovisuel s'autofinance, et rien ne démontre que les financements de l'Etat dont bénéficie l'audiovisuel public  garantisse aux téléspectateurs une qualité supérieure à ce que leur apportent les chaines privées, ni un plus grand pluralisme dans le domaine de l'information! En la matière, la qualité ne serait-elle pas mieux garantie par une saine concurrence entre opérateurs privés, sur un pied d'égalité?

De même, rien ne démontre que les crédits très importants accordés à la création artistique permettent à la création française d'émerger de façon significative sur le marché international de l'art; elle permet surtout le développement d'une certaine forme de clientélisme dans laquelle toute une catégorie d'artistes "d'Etat", bien introduits auprès des bureaucrates du Ministère de la Culture, peuvent vivre grassement des subventions publiques, sans avoir à se soucier du succès plus ou moins grand que rencontrent leurs œuvres sur le marché de l'art. Et ce que je viens de dire concernant les arts plastiques est valable dans tous les autres domaines de la création artistique dans lesquels l'Etat intervient: cinéma, théâtre, musique etc.

L'argument utilisé pour justifier ces subventions aux artistes est que ceux-ci, ainsi libérés de préoccupations bassement commerciales, peuvent créer plus librement, innover, et porter ainsi aux yeux du monde  "l'exception culturelle française". Mais ne risque t'on pas ainsi d'aboutir à un art totalement élitiste, réservé aux "happy few", et en tout cas très loin de l'objectif théoriquement affiché de "démocratisation de la culture"? Le cinéma français, largement subventionné, s'exporte mal et a peu de succès à l'étranger, alors que le cinéma américain s'exporte dans le monde entier, et l'absence de subventions n'empêche pas qu'aux côté d'un cinéma purement commercial, on voit apparaître un cinéma indépendant américain de haute qualité.

Et je passerai ici sous silence le coût exorbitant d'une lourde bureaucratie culturelle, vivant en vase clos et jalouse de ses privilèges, et de plus faisant très souvent doublon avec les politiques culturelles menées au niveau local par les départements et les communes.

Ainsi, le jour où l'on finira par réexaminer sérieusement l'ensemble des politiques culturelles pour éliminer celles qui n'ont aucune raison d'être en dehors de satisfaire quelques privilégiés, le jour où les crédits accordés au secteur audiovisuel public, à la création artistique et au cinéma auront été réduits des 3/4, ainsi que le nombre de fonctionnaires du Ministère de la Culture (vous voyez que je ne suis pas extrémiste!), ce jour-là l'Etat récupérera les marges de manœuvre nécessaires pour mener à bien une politique cohérente de préservation de notre patrimoine.