Au moment où j'écris ces lignes, quelques heures après le triste spectacle que nous a offert Marine Le Pen durant son face-à-face avec Emmanuel Macron, et même s'il ne faut jamais vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué, la victoire finale de ce dernier à l'élection présidentielle parait désormais une certitude.
Mais nous savons aussi que ce sera pour lui le début des difficultés, au cours d'un quinquennat dont il serait dramatique pour notre pays qu'il soit aussi décevant et maigre en résultats que les précédents. Dés lors, la montée des extrêmes dont nous avons été témoins au cours de cette élection risquerait fort de se traduire par l'arrivée au pouvoir de l'un d'entre eux, aussi nuisible l'un que l'autre.
C'est pourquoi, il nous faut nous intéresser dés maintenant aux prochaines élections législatives, qui seront déterminantes pour la gouvernabilité du prochain quinquennat. Or jamais le résultat de ces élections n'a été aussi incertain et imprévisible.
Lors des derniers mandats présidentiels, il paraissait évident que les élections législatives organisées dans la foulée de la présidentielle allaient donner au président fraichement élu une majorité claire qui confirmerait le choix des français, et cela s'est toujours vérifié.
Cette fois-ci, les choses sont toutes différentes: le nouveau président va arriver au pouvoir à la tête d'un parti qui a à peine un an d'existence, pratiquement aucune implantation locale, et dont les candidats seront dans la plupart des cas de parfaits inconnus. Le seul précédent qui puisse être comparé au cas actuel est celui de l'arrivée au pouvoir du Général De Gaulle en 1958, et même alors, malgré tout le prestige et la légitimité personnelle dont bénéficiait celui-ci, il n'avait pas pu obtenir une majorité absolue, ce qui avait conduit quatre ans plus tard, une fois terminée la guerre d'Algérie, à l'unique dissolution qu'ait connue la Vème République. Il parait donc peu plausible que, quelque soit la dynamique créée par son élection, le parti de Macron puisse obtenir la majorité absolue.
Le Front National obtiendra sûrement plus de sièges que les deux ou trois qu'il détient actuellement, mais une fois cassé l'élan dont il a pu bénéficier dans le sillage de Marine Le Pen (surtout si celle-ci obtient finalement au deuxième tour un résultat inférieur à 40%), et avec la limitation dont il souffre de ne pas pouvoir nouer d'alliance locale avec d'autres partis, je ne crois pas qu'il puisse se retrouver majoritaire dans de nombreuses circonscriptions.
Il en sera probablement de même du parti de Mélenchon: il s'agit d'un parti "unipersonnel", et derrière son leader, il n'a pas encore pu se structurer. Tout dépendra de sa capacité à nouer des alliances avec ce qui reste du PS (tout au moins la minorité de ses membres qui ne se laissera pas attirer par Macron). Mais le succès des Insoumis, c'est avant tout le succès d'une personne, et ce n'est pas du tout la même chose de voter à la présidentielle pour un leader doté d'un certain charisme, et de voter aux législatives pour un inconnu représentant d'un parti qui reste très marqué à l'extrême gauche.
Restent donc les Républicains, dont les électeurs sont marqués par l'amertume d'avoir été écartés de la présidentielle alors que celle-ci leur paraissait promise, et avides d'avoir leur revanche. Comme le PS, il s'agit d'un parti fortement structuré et implanté localement, avec des personnalités connues, mais qui à la différence du PS, n'a pas connu un désastre électoral. S'il sait résister à la tentation de se diviser AVANT les législatives entre les forces centrifuges attirées par Macron et celles attirées par Le Pen, il devrait obtenir un résultat honorable: il ne s'agira sûrement pas d'un écroulement, comme celui qui menace le PS. On peut donc parier qu'il parviendra à être soit le premier, soit au pire le deuxième groupe parlementaire de la future assemblée. Par contre, compte tenu de la forte dynamique dont bénéficiera le parti de Macron, il ne détiendra sûrement pas la majorité absolue.
On peut donc parier sans gros risque que l'on s'oriente vers un parlement dans lequel AUCUN GROUPE ne détiendra la majorité absolue: on n'aura donc certainement pas une configuration semblable aux "cohabitations" que nous avons connues sous les présidences de Mitterrand et de Chirac, qui sont, rappelons-le, une situation dans laquelle un président de la République, face à un Parlement d'une orientation politique opposée à la sienne, se voit contraint à nommer un premier ministre qui a la confiance du parlement, et non la sienne.
On s'oriente au contraire vers une situation bien connue en Allemagne, et qui est également celle de l'Espagne depuis quelques mois: celle d'une grande coalition dans laquelle, face à une composition de l'assemblée dans laquelle aucun parti ne détient la majorité absolue, deux ou plusieurs partis négocient un programme de gouvernement permettant d'assurer une stabilité de l'action gouvernementale.
C'est la raison pour laquelle il me parait essentiel que les Républicains ne se divisent pas avant les législatives: lorsque le CDU et le SPD se présentent aux élections du Bundestag, ils ne le font pas en annonçant d'avance qu'ils négocieront pour gouverner ensembles: ils ont tous les deux l'ambition d'obtenir seuls la majorité absolue. Ce n'est qu'une fois passées les élections que, face à une situation dans laquelle aucun parti ne peut gouverner seul, ils entreprennent une négociation, qui peut parfois être longue (plusieurs mois pour l'actuel gouvernement allemand, de même en Espagne) mais qui permet ensuite d'assurer la stabilité gouvernementale.
Une telle coalition ne peut évidemment se construire qu'entre deux partis que ne sépare pas une distance idéologique insurmontable: c'est la raison pour laquelle le seul parti avec lequel le futur président Macron pourra négocier, c'est celui des Républicains.
Cela suppose que ce dernier parti accepte de jouer le jeu, qui est un jeu nouveau sous la Vème République: donc accepter que le programme qui s'appliquera ne sera pas intégralement le leur, ni d'ailleurs celui du Président, mais un nouveau programme prenant des éléments des deux.
C'est au moment de ces négociations qu'effectivement, il risque de se produire des scissions au sein des Républicains, certains refusant de transiger, et préférant mener une politique suicidaire du tout ou rien. Il faut cependant espérer qu'il finira par se dégager parmi eux une majorité modérée, qui acceptera de jouer le jeu au nom de l'intérêt supérieur du pays, et en sachant que si le nouveau président devait échouer en raison de leur intransigeance, cet échec pourrait entrainer une crise profonde et la prochaine arrivée au pouvoir des extrêmes.
Espérons donc que les partis qui, pendant la présidentielle, ont appuyé les deux seuls candidats "raisonnables", libéraux et européens, et tenant compte des contraintes de l'économie, sauront arriver à une telle coalition, autour d'un programme sérieux de réformes et de redressement du pays.