Friday 23 November 2012

SPORT ET DOPING: une gigantesque hypocrisie

Une fois de plus, avec la récente condamnation de Lance Armstrong et l'annulation de ses sept victoires du Tour de France, nous sommes abreuvés d'articles et de commentaires débordant de bons sentiments, insistant sur la croisade qui doit être menée pour lutter contre le doping. Il s'agirait selon ces articles d'une lutte qui doit être poursuivie sans relâche pour éliminer les quelques brebis galeuses qui déshonorent leur sport et redonner à la pratique sportive sa pureté originelle.

Le summum de cette vertueuse indignation est atteint dans le long article que consacre au sujet le Nouvel Observateur du 15 novembre 2012 sous le titre: "Qui a couvert Lance Armstrong? En France, tant de gens savaient", où le texan est pratiquement assimilé à un chef mafieux digne des pire narcotrafiquants colombiens, régnant par la terreur sur le "milieu" du cyclisme.

Ce parallélisme entre drogue et doping n'est pas anodin: on retrouve dans les deux cas le même moralisme puritain, la même affirmation selon laquelle, le doping étant mauvais pour la santé, il doit être criminalisé, comme l'est la drogue. On retrouve également le même arsenal pénal fortement répressif, le même déploiement de moyens extrêmement coûteux et au bout du compte peu efficaces: de même que la lutte contre les drogues n'a pas fait régresser la consommation et a fait la fortune des narcotrafiquants, de même la lutte contre le dopage n'empêche pas celui-ci d´être plus généralisé que jamais, pour le plus grand profit des réseaux spécialisés dans le trafic (évidemment clandestin, puisque réprimé) de ces substances.

Finalement, dans les deux cas, on retrouve la même démarche profondément antilibérale, dans laquelle l'Etat s'arroge le droit de décider ce qui est bon ou ce qui est mauvais pour les hommes, sans laisser à ceux-ci le droit de prendre leurs responsabilités, de courir leurs risques, y compris celui de ruiner leur santé. On en arrive, dans le cas des sportifs, à des règles proprement hallucinantes et ouvertement attentatoires à la liberté individuelle; savez-vous par exemple qu'un sportif de haut niveau doit toujours être joignable, afin de pouvoir à tout moment pratiquer sur lui des contrôles inopinés? Savez-vous qu'un sportif victime d'un gros rhume ne peut pas se soigner comme tout un chacun, car beaucoup des médicaments que nous consommons dans ces cas-là pourraient donner positif lors d'un contrôle?

Dans les deux cas (consommation de drogue ou doping), il s´agit d'une activité dont l'auteur ne cause de tord qu'à lui-même et non au reste de la société, tandis que la lutte que celle-ci entreprend contre ces consommations a un coût sans commune mesure avec sa faible efficacité.

En outre, si l´on prend le cas du dopage, dans quel contexte se développe-t'il? En réalité, presque exclusivement dans celui du sport de très haut niveau, qui est un sport professionnel, donc en réalité beaucoup plus un SPECTACLE qu´un sport. Dans la société hyperfestive dont parlait Philippe Muray, le sport tel qu'il nous est servi par la télévision, a beaucoup plus à voir avec les jeux du cirque de l'Empire Romain, qu'avec l'idéal humaniste du mens sana in corpore sano. Le public paie pour voir ces sportifs, et il veut en avoir pour son argent; il en veut toujours plus; ça n'intéresse personne de regarder des cyclistes se traîner à 35 à l'heure sur les routes du Tour, ni de voir le vainqueur du 100 m aux Jeux Olympiques l'emporter en 10sec 2/10.

Il y a donc une énorme hypocrisie à voir ensuite ce même public s'indigner lorsqu'il apprend que l'un de ses sportifs favoris (sans doute plus maladroit que les autres) s'est fait prendre avec de l'EPO dans le sang, ou avec quelques seringues dans sa besace. Cet homme, en se dopant, ne faisait qu'exercer sa profession du mieux qu'il le pouvait, en s'efforçant de donner à son public ce que celui-ci attend de lui. Va-t'on contrôler si l'acrobate qui s'élance de son trapèze en haut du chapiteau du cirque, s'est pris une ligne de coke pour oublier ses angoisses? Va t'on contrôler si l'étudiant s'est bourré d'amphétamines pour tenir le coup pendant ses révisions avant l'examen? Ou si l'architecte qui a travaillé 48 heures d'affilée pour rendre son projet avant ladate limite en a fait de même?

De tous temps, les hommes ont utilisé des substances dont ils pensaient, à tord ou à raison, qu'elles allaient augmenter leurs performances, physiques ou mentales. Dans la société hypercompétitive où nous vivons, cette tendance ne peut que se renforcer. Et plus encore dans le monde de ce sport-spectacle, où les intérêts financiers sont énormes, sans parler de l'exacerbation du chauvinisme auquel donnent lieu ces grandes compétitions sportives: voir le décompte des médailles par pays lors des Jeux Olympiques.

Mais, dira-t'on, les résultats sont faussés, et les sportifs honnêtes, qui refusent le doping, ne luttent pas à armes ègales avec les autres! C'est peut-être vrai, encore que l'on puisse se demander s'ils sont très nombreux, les coureurs qui pendant le Tour de France, carburent uniquement à l'eau minérale. Lance Armstrong était sans doute dopé, mais un tocard même dopé ne gagnera jamais sept tours de France.

D'ailleurs, est-on réellement sûr que le doping, consommé de façon rationnelle et contrôlée, soit si dangereux? N'est-ce pas justement la clandestinité, en laissant les sportifs de compétition entre les mains de "sorciers" qui leur administrent des doses de cheval, qui leur fait courir des risques? Ou plutôt qui leur faisaient courir des risques (du temps où Simpson s'écroulait, la bave aux lèvres sur les pentes du Ventoux, avant de décéder quelques heures après), car aujourd'hui, même dans la clandestinité, les sportifs de haut niveau sont entre les mains d'équipes complètes de médecins, soigneurs, diététiciens, qui ont appris à contrôler les doses et éviter de faire courir des risques inutiles à leur poulain.

La dépénalisation du doping entrainerait-elle sa généralisation? Certainement pas. Ce n'est pas parce que le doping ne serait plus clandestin que le sportif amateur, celui qui ne fait du sport que pour son plaisir et pour se sentir bien dans son corps, se mettrait brusquement à en consommer. Il continuera à ne toucher, comme c'est le cas actuellement, que le sportif professionnel, celui qui vit de cette activité.

Laissons donc chacun d'eux déterminer, sous sa responsabilité, les risques qu'il est disposé à courir. Arrêtons cette gigantesque hypocrisie qui consiste à condamner, quand il se fait prendre, le sportif que nous célébrons comme un héros quand il nous donne le spectacle et la part de rève que nous attendons de lui.


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