Friday 29 September 2017

LA PRESSE FRANCAISE ET LA CATALOGNE

Face à la situation préoccupante qui se dessine en Catalogne, à deux jours du référendum convoqué par les indépendantistes, je suis frappé par le degré de d'ignorance du sujet que démontre la presse française, et la quantité de désinformation fondée sur l'idéologie qui circule dans les médias.  On nous présente un  peuple unanime dans sa revendication de l'indépendance, empêché de s'exprimer démocratiquement et d'exercer son droit à l'autodétermination par un pouvoir central qui exercerait sur lui une répression brutale rappelant les pires heures de la dictature franquiste.
Au delà de la tendance bien française à donner ses sympathies au petit, au faible, qui résiste obstinément contre le fort, il faut pourtant essayer de raison garder dans cette affaire trop souvent abandonnée aux passions les plus irrationnelles.
Je parlais plus haut d'ignorance et de désinformation. Commençons par l'ignorance, en rappelant quelques points importants de la réalité catalane:
- la société catalane est loin d'être aussi homogène qu'on ne le dit souvent: il ne s'agit pas d'un peuple rassemblé autour de sa langue, de sa culture, de son identité. Si l'on désigne par "catalan" toute personne de nationalité espagnole résidant sur le territoire de la Catalogne (ce qui parait une évidence si l'on ne veut pas sombrer dans l'ethnicisme et le racisme le plus primaire), alors on découvre qu'en réalité ceux qui partagent le culte de la langue et de la culture catalane sont minoritaires. Toutes les études sérieuses montrent que plus de 50% des habitants de la Catalogne ont pour langue maternelle l'espagnol, ce qui n'est d'ailleurs pas sans poser de sérieux problème lorsque l'on connait la politique éducative "d'immersion" menée dans les écoles publiques catalanes pour obliger tous les enfants à recevoir une éducation presque exclusivement en catalan, avec seulement 2 heures d'espagnol par semaine.
- contrairement à l'impression que pourraient donner les images de manifestations impressionnantes d'indépendantistes, qui pourraient amener à croire que l'immense majorité de la population est en faveur de l'indépendance, en réalité l'opinion publique est très divisée. Le dernier sondage sérieux, réalisé en août dernier, donnait environ 41 % en faveur de l'indépendance, contre 50% pour le maintien au sein de l'Espagne. Il est possible que les derniers évènements, dans un contexte où seuls les partisans de l'indépendance ont le droit de s'exprimer alors que les opposants font profil bas par peur de se faire traiter de fascistes ou d'anti démocrates, ait permis aux indépendentistes de se rapprocher des 50%, mais en tout cas on est loin de l'image d'unanimisme qu'essaie de donner le Govern, dans laquelle seuls quelques nostalgiques du franquisme seraient opposés à l'indépendance.

Quant aux  idées  fausses fondées sur l'idéologie, j'en citerai deux:
- la première, selon laquelle il est toujours démocratique de permettre au peuple de s'exprimer par voie de référendum, et il est toujours anti démocratique de s'y opposer. On semble oublier que la démocratie s'accompagne toujours de l'Etat de droit, faute de quoi elle n'est plus que l'oppression d'une partie de la population (la majorité du moment) sur l'autre. Or en la matière, l'Etat de droit a été largement malmené, avec le vote à la hussarde par la majorité du parlement catalan de deux lois, l'une convoquant au référendum, l'autre prévoyant le processus de "déconnexion" de la Catalogne après la proclamation de l'indépendance, sans aucun respect des droits de l'opposition, sans aucun débat préalable. Il s'agit donc d'un référendum totalement illégal et de plus inconstitutionnel (voir plus loin), qui ne donne aucune garantie à l'opposition, avec une campagne électorale dans laquelle seuls les partisans du oui sont audibles, et dans lequel il ne fait aucun doute que les oui l'emporteront largement: aucune condition de taux de participation minimale n'a été établie, et de toutes façons la grande majorité des partisans du non s'abstiendra, puisqu'ils refusent de participer à un référendum illégal. On se dirige donc vers un résultat à la soviétique, avec sans doute près de 90% de oui.
- deuxième idée fausse: celle selon laquelle les peuples ont toujours droit à l'autodétermination, et seuls les États antidémocratiques refusent un tel droit à leur population. Là encore, la réalité est très éloignée du discours indépendentiste. Il est exact que dans l'état actuel de la constitution espagnole, le référendum auquel ne participeront que les habitants de la Catalogne est contraire à cette constitution, puisque la sécession d'une partie de la nation espagnole ne pourrait être autorisée que par un référendum ouvert à la totalité des citoyens espagnols. Mais est-ce différent dans les autres pays? Croit-on qu'un référendum s'adressant aux seuls corses ou aux seuls bretons permettrait à ceux-ci de faire sécession, alors que l'article 1 de la constitution française indique que "La France est une république indivisible", et son article 3 que "aucune section du peuple ne peut s'attribuer l'exercice (de la souveraineté nationale)".
En réalité, pratiquement aucune constitution dans le monde ne prévoit le droit de certaines parties de la nation à l'autodétermination. Et au niveau du droit international et des Nations Unies, le droit à l'autodétermination n'est reconnu, avec beaucoup de précautions, qu'à des territoires qui seraient l'objet d'une domination coloniale, ou qui subiraient un régime dictatorial, ce qui de toute évidence n'est pas le cas de la Catalogne.

Dans ces conditions, le gouvernement espagnol a toute légitimité pour s'opposer par tous les moyens à sa portée à la réalisation de ce référendum. Il ne l'a fait jusqu'à présent qu'avec une grande modération, malgré les hurlements de certains parlant d'un retour du franquisme et de l'utilisation de méthodes dictatoriales. Les soi-disant "prisonniers politiques" (quelques dirigeants catalans arrêtés la semaine dernière) n'ont en réalité été maintenus en détention que quelques heures dans le cadre d'une garde à vue, avant d'être mis en examen.

Reste à savoir comment se déroulera la journée "électorale" de dimanche: les indépendentistes nous assurent qu'ils refusent la violence; cependant, je crains fort que lorsque les gardes civils se présenteront pour fermer des bureaux de vote ou confisquer des urnes, la réaction des multitudes chauffées à blanc depuis plusieurs semaines ne sera pas si pacifique, et que l'on s'expose à des incidents violents... J'espère me tromper. 

Et surtout, que se passera t'il le 2 octobre? La pire des hypothèses serait que les plus extrémistes des indépendentistes proclament de façon unilatérale l'indépendance, en s'appuyant sur un résultat qui sera forcément en faveur du oui. Une telle proclamation entrainerait alors sûrement une réaction musclée du gouvernement central, et un enchainement de violences dont nul ne peut prévoir l'aboutissement.

Une autre hypothèse plus optimiste serait que, face à un résultat peu probant (en raison d'une faible participation), les différentes parties aient le bon sens d'entreprendre des négociations, visant probablement à définir une nouvelle forme d'organisation territoriale, de type fédéraliste, non seulement pour la Catalogne mais pour toute l'Espagne. Mais pour qu'une telle négociation ait des chances d'aboutir, il faudrait que les indépendentistes acceptent d'offrir une alternative différente à celle qu'ils ont proposée jusqu'à présent: référendum (légal et négocié) ou référendum (illégal)

En tout cas, quoi qu'il arrive, il est certain que par la faute du sectarisme et du populisme dont ont fait preuve les indépendentistes, la société catalane restera fortement divisé et fragmentée, et que les haines qui ont été suscitées mettront du temps à s'estomper.

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