Monday 18 September 2017

Les services publics "à la française"

Toutes les enquêtes d'opinion montrent l'attachement des français à leurs services publics, et beaucoup d'entre eux continuent à vivre dans l'illusion que ceux-ci sont parmi les meilleurs du monde. C'est pourquoi, toute tentative de l'Etat pour réduire le niveau de ses dépenses se heurte souvent à une forte opposition de toute une partie de la population, convaincue qu'en agissant ainsi c'est à la pérennité de ces services publics que l'on s'attaque, et au maintien de notre pacte républicain.
Or, lorsqu'on y regarde d'un peu plus près, il y a actuellement en France une situation paradoxale:

D'un côté, il est vrai que la France est, parmi les pays développés, l'un de ceux qui consacrent le plus fort pourcentage de leur PIB aux dépenses publiques, n'étant concurrencée dans ce domaine que par quelques pays scandinaves.

Mais en même temps, il suffit de voyager dans des pays de niveau de développement comparable à celui de la France pour constater que les services publics que le notre pays fournit à ses citoyens sont loin d'être les meilleurs du monde, et que leur qualité a  même,  depuis quelques années, une fâcheuse tendance à reculer.

C'est par exemple le cas de l'éducation, pour laquelle les classements internationaux situent désormais la France à une modeste 25ème position dans les classement PISA pour le secondaire, et ne font figurer que 3 universités françaises parmi les 100 premières (classement de Shanghai pour 2016), alors que les  dépenses par habitant consacrées à l'éducation nous classent au 6ème rang mondial. C'est d'ailleurs d'autant plus paradoxal que les professeurs français sont plutôt mal payés par rapport à leur collègues d'autres pays de niveau comparable (notamment les professeurs universitaires).

Prenons un autre exemple, celui de la santé: cette fois-ci, ma comparaison se fait avec un pays généralement considéré comme moins développé que la France, et qui de plus, a subi ces dernières années ce que la presse française qualifie de "coupes sombres" dans ses dépenses publiques: je veux parler de l'Espagne. J'ai eu l'occasion en juillet dernier d'utiliser les services d'un dispensaire "d'attention primaire" espagnol, situé dans un petit bourg de montagne particulièrement isolé. Je m'attendais au pire, quelle ne fut pas ma surprise de trouver un centre ultra moderne dans lequel, sans aucune attente, me furent dispensés des soins d'excellente qualité, avec un personnel attentionné et compétent. Quelle différence avec les services d'urgence français, toujours débordé, dans lesquels, sauf si vous êtes à l'article de la mort, vous avez toutes les chances d'attendre plusieurs heures. 

Autre service public essentiel: les transports urbains, et plus particulièrement le métro: le métro de Barcelone se caractérise par sa propreté impeccable, des accès aménagés dans TOUTES les stations pour les personnes handicapées, des distributeurs automatiques de billets en grand nombre... Arrivant de Barcelone, je débarque à l'aéroport de Roissy, première vitrine de Paris pour les touristes étrangers qui viennent nous visiter. Et qu'est ce que je constate? une queue d'au moins une demi heure pour les touristes qui veulent acheter un billet de RER pour se rendre à Paris; et ensuite, un seul portillon en service (les autres en panne), d'où des queues impressionnantes pour les voyageurs chargés de valises qui veulent accéder aux trains!

Des exemples de ce genre, toute personne qui voyage un peu en dehors de nos frontières peut les multiplier. Et je le répète, ceux que je rapporte concernent un pays théoriquement moins prospère que la France, et qui vient de faire subir à son secteur public une sérieuse crise d'amaigrissement.

On est donc bien obligé de constater que finalement, ce qui fait question en France, ce n'est pas tant le niveau des dépenses publiques dans l'absolu, que l'INEFFICIENCE de nos services publics, c'est à dire le très mauvais rapport existant entre ce que ceux-ci nous coûtent et les prestations que nous en obtenons. Après tout, chaque pays est libre de décider quelle est sa préférence pour la consommation sociale (celle qui est prise en charge par la collectivité) par rapport à la consommation individuelle: si nous préférons que l'ensemble des dépenses de santé, d'éducation, de transport urbain, de protection sociale (vieillesse, chômage...) soit pris en charge par la collectivité publique, libre à nous. D'autres pays, notamment les pays scandinaves, ont fait le même choix. Mais la grande différence avec nous, c'est que pour un montant de dépenses inférieur ou égal au nôtre, ils offrent des services publics de qualité supérieure, tout en ayant réussi à équilibrer leurs comptes publics.

Donc, plus que le niveau des dépenses publiques dans l'absolu, ce qui cause problème en France, c'est l'inefficience catastrophique de la dépense publique: pour le dire brutalement, nous n'en avons pas pour notre argent.

Dans le cas français, nous avons un problème additionnel: le niveau élevé des prélèvements obligatoires n’empêche pas un déficit structurel des dépenses publiques (ces prélèvement ne parviennent pas à couvrir les dépenses) et des dépenses sociales, et l'augmentation de l'endettement qui en résulte. Or l'expérience désastreuse des débuts du gouvernement de François Hollande a montré qu'il n'est plus possible de combler ce déficit par une augmentation des impôts. La seule solution qui reste est donc la réduction des dépenses publiques.

Or on ne parviendra jamais à obtenir une réduction sérieuse de celles-ci par la méthode qui a été utilisée jusqu'à présent: un coup de rabot un peu partout, à l'aveugle, une réduction linéaire des effectifs, y compris dans les domaines où on en a le plus besoin (police, justice). Bien sûr, ce n'est jamais inutile de "resserrer les boulons", de chasser les gâchis là où ils se présentent, mais au bout du compte les économies obtenues seront toujours ponctuelles et passagères. Tant que l'on ne parviendra pas à améliorer de façon structurelle l'efficience de l'Etat, les efforts d'économie seront voués à l'échec.

Un véritable plan de réduction des dépenses publiques doit passer par une remise en cause complète de la façon dont fonctionne l'administration publique, du modèle hiérarchique et bureaucratique dominant: il s'agit, comme le disent les fondateurs du New Public Management (NPM), de "changer l'ADN de l'administration", sa logique interne, en rapprochant notamment les modes de gestion du secteur public de ceux du secteur privé.

J'aurai l'occasion de revenir plus en détail sur cette réforme, qui est pour moi la clé de voûte d'une remise en ordre de l'économie française (comme cela l'a été, bien avant la France, pour le Canada, la Suède, la Nouvelle Zélande, la Grande Bretagne); mais il faut avoir conscience dés maintenant de l'une des premières conditions du succès d'une telle réforme: la  remise en cause du statut des fonctionnaires, afin que seuls quelques fonctionnaires assurant auprès du personnel politique élu une mission de conception et de formulation des politiques publiques, et de contrôle de leur mise en oeuvre, conserve un statut public, tandis que l'immense majorité des personnels assurant la prestation des services publics devrait voir leur situation s'aligner sur celle des salariés privés: disparition de la situation statutaire qui serait remplacée par de simples contrats de travail de droit commun, fin de l'emploi à vie, fin de l'avancement pratiquement automatique à l'ancienneté etc.

C'est là un chantier immense, qui devrait être la grande oeuvre du nouveau gouvernement. Il ne pourra se réaliser que si l'on parvient à montrer aux personnels de l'Etat qu'une telle réforme ne se fera pas à leur détriment, mais qu'elle aura au contraire comme résultat de leur proposer des perspectives de carrière plus attractives, de plus grandes responsabilités, des tâches plus gratifiantes.  

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