Sunday 12 April 2020

"quoi qu'il en coûte"?

Dans son allocution solennelle du 12 mars dernier, qui fut le premier pas vers le confinement général proclamé quelques jours après, Macron, utilisant une rhétorique martiale, nous disait que ""La santé n'a pas de prix. Le gouvernement mobilisera tous les moyens financiers nécessaires pour porter assistance, pour prendre en charge les malades, pour sauver des vies. Quoi qu'il en coûte".

Près d'un mois plus tard, nous commençons à mieux réaliser ce qu'il va réellement nous en coûter, et à admettre qu'en réalité, la santé a bien un prix, et très élevé.

Dans une très intéressante interview parue dans Le Point, dont je recommande la lecture à tous, l'économiste français Christian Gollier évalue la baisse du PIB à 4% par mois de confinement; comme nous sommes bien partis pour une durée de ce confinement d'environ 2 mois, et qu'ensuite la reprise de l'activité économique ne se fera que très progressivement, tout laisse à penser que nous arriverons très vite à une récession largement supérieure à 10% du PIB.

Il faut bien comprendre ce que cela signifie concrètement pour la vie quotidienne des français, en terme de perte d'emplois, de pouvoir d'achat, de misère humaine, dans certains cas de désespoir. Certains inconscients, entendant mentionner les chiffres astronomiques annoncés pour les dépenses visant à compenser les pertes de revenus pendant le confinement, puis les plans de relance qui devraient être mis en oeuvre à la sortie de celui-ci, nous disent que "la preuve est faite que, de l'argent il y en a", et que "plus jamais les français n'accepteront les politiques d'austérité qui ont été menées ces dernières années". ils semblent oublier que cet argent déversé à flot, l'Etat ne le possède pas, il doit l'emprunter, et il devra un jour le rembourser, sauf à se déclarer en faillite. 

A ces pertes économiques occasionnées par la pandémie et le confinement qui en résulte, s'ajoutent toute une série d'autres conséquences d'ordre social, psychologique, en terme de retard scolaire, et même de santé publique. Mesure t'on par exemple les conséquences du confinement sur la montée des addictions (alcoolisme, drogues...)? Sur les violences intra familiales, notamment à l'égard des femmes et des enfants? Le désastre sanitaire entraîné par la quantité de personnes renonçant à se soigner d'autres maladies, retardant l'initiation de leur traitement ou la réalisation de leur chirurgie? Prend-on en compte la vague de maladies mentales, de dépressions, ou dans le pire des cas de suicides qui va en résulter?

Alors oui, la santé (ou en tout cas celle des personnes frappées par le covid-19) a bien un coût, qui est très élevé, et on ne peut pas se contenter de dire que l'épidémie sera vaincue "quoi qu'il en coûte". Il arrive un moment où il faut bien mettre en balance les bénéfices et les inconvénients qu'occasionne le confinement. 

Bien sûr, on nous dit qu'il n'y a pas d'autre solution, et que le confinement est le seul remède existant pour empêcher un désastre sanitaire. Je ferai seulement deux observations:

- D'abord, il n'est pas tout à fait vrai que le confinement soit la seule solution; il existe au moins une alternative, qui a été utilisée jusqu'à présent avec un certain succès par la Corée du Sud, qui consiste à isoler immédiatement et totalement (c'est à dire en séparant le malade de sa famille) toute personne porteuse du virus, même si elle n'est pas malade, et dans chaque cas à enquêter pour retrouver toutes les personnes avec qui elle a été en contact, afin de les tester à leur tour.

Cette méthode présente l'énorme avantage de ne confiner que les personnes à risque, et non toute la population. Cependant, elle devient difficilement practicable à partir du moment ou l'épidémie n'est plus cantonnée à quelques centaines de personnes, mais s'étend, comme chez nous à sans doute plusieurs centaines de milliers. Elle implique en outre de disposer de très fortes capacités en matière de test de détection de la maladie, ainsi que que de tracking des personnes rencontrées par les individus contaminés, éléments dont nous ne disposons pas.

Nous avons donc bien fait "de nécessité vertu" en choisissant la stratégie du confinement, parce que nous n'avions pas la possibilité de choisir celle suivie par les coréens.

- la deuxième observation, qui est plus de fond, porte sur la capacité de nos sociétés post modernes à accepter et supporter la maladie et la mort. Bien sûr, personne ne souhaite le retour à l'époque de la peste noire, où près de 50% de la population européenne avait péri. Mais nous avons déjà, dans un passé relativement récent, traversé divers épisodes épidémiques plus ou moins sévères (grippe espagnole, grippe asiatique, grippe de Hong Kong), qui en leur temps furent meurtrières, mais n’entraînèrent jamais un confinement généralisé et un arrêt de l'économie comme c'est le cas actuellement. 

Le problème est que pratiquement les seuls experts qui sont actuellement consultés pour savoir quelles mesures prendre contre l'épidémie sont des médecins, virologues ou épidémiologistes, dont le seul objectif est (puisqu'ils ont été formés pour cela) de réduire le plus possible le nombre de victimes de l'épidémie, mais qui ne sont sans doute pas préparés pour prendre en compte au niveau "macro" les conséquences sur l'ensemble de la société des mesures qu'ils proposent.

Ces spécialistes trouveront toujours que les moyens mis à disposition du système de santé sont insuffisants, qu'il faudrait disposer en permanence de centaines de milliers de respirateurs, de millions de test, de milliards de masques... Mais comment peut-on imaginer qu'un système de santé puisse être dimensionné pour pouvoir affronter une épidémie qui, dans le pire des cas, ne se reproduira pas avant 100 ans? Sans compter que l'on aura toujours une guerre de retard, comme la France en 1940 avec la Ligne Maginot, et que les remèdes prévus pour lutter contre une épidémie comme celle du coronavirus ne serviront sans doute à rien contre l'épidémie suivante.

L'application du principe de précaution contre le risque d'épidémie est une illusion, il nous faut donc accepter que notre système de santé puisse se révéler incapable de faire face à une épidémie soudaine et violente, comme celle que nous connaissons actuellement. C'est une situation que l'humanité a connu à de nombreuses reprises par le passé, et dont elle s'est toujours relevé; mais cette fois, il semble qu'il soit inacceptable pour beaucoup de gens que des malades puissent mourir faute de capacité hospitalière pour les accueillir. On préfère donc une solution (le confinement) qui est en train de ruiner notre économie et de détruire la vie de nombreuses personnes, plutôt que d'affronter un plus grand nombre de décès.

Je sais bien que mon discours paraîtra inacceptable à beaucoup, et que l'idée que l'on puisse mettre un prix à la vie humaine peut sembler monstrueuse. Mais c'est pourtant la réalité, et je fais le pari qu'une poursuite prolongée du confinement, sans perspective claire de sortie, deviendrait vite inacceptable pour une partie croissante de la population.

Je ne suis pas en train de dire qu'il faut cesser immédiatement et sans condition le confinement; je pense seulement que la stratégie qui sera adoptée pour en sortir devra impérativement tenir compte, non pas uniquement des moyens pour stopper l'épidémie, mais également de l'ensemble des impératifs, économiques et sociaux, de notre société, et des dommages que le confinement lui cause, en pesant toujours les avantages et inconvénients, non seulement médicaux, mais également pour l'ensemble de la société. Il ne faudrait pas que le remède devienne pire que le mal.






3 comments:

  1. Merci pour cet article intéressant.
    J'ajouterais sur les méthodes autres que le confinement généralisé, le confinement strict des personnes à risque, c'est à dire âgées (de plus de 60 ans, 70 ans?) et présentant des problèmes de santé préexistants (à condition de bien savoir lesquels et avec quelle gravité). Cela, couplé à le politique que tu proposes de test massif afin d'identifier très vite les personnes atteintes, isolement strict de ces personnes, et traçage des autres personnes qui auraient pu être infectées, est une politique efficace, comme l'a fait la Corée du Sud. Mais pour ce faire, il faut en effet des moyens et une capacité à convaincre la population qu'elle devra renoncer à beaucoup de libertés individuelles pendant une période longue, ce qui est difficilement acceptable dans nos société occidentales. Une chose est de nous dire de rester chez nous avec nos proches, une autre est de courir le risque de nous isoler totalement, sans notre famille, sans doute en dehors de chez nous, d'accepter que tous nos mouvements soient surveillés et que tous nos contacts soient identifiés.

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  2. Il me semble au contraire que le confinement total d'une personne présentant des risques directs et vérifiés (par un test) de contaminer son entourage est moins attentatoire à la liberté qu'un confinement généralisé de l'ensemble de la population, y compris ceux qui ne sont pas contaminés. D'une part, contrairement à ce que tu dis, cet isolement n'est pas de très longue durée, puisque il est levé dés que la personne contaminée n'est plus contagieuse, soit, selon ce qu'on sait actuellement, environ 2 à 3 semaines. Alors qu'on est bien en peine de dire combien de temps doit durer le confinement général, il suffit de voir les doutes et les hésitations actuelles des gouvernements d'Europe occidentale.
    D'autre part, on passe ainsi d'une situation où l'on oblige au confinement des millions de personnes dont on sait parfaitement qu'elles ne sont pas contaminées (on estime qu'actuellement à peine 5% de la population est contaminée) à un système où ce confinement est strictement limité aux personnes contaminées, et donc constituant un risque pour le reste de la population.
    Si cet isolement est mené de façon respectueuse de la dignité humaine, et non pas comme l'on traitait les pestiférés ou les lépreux au Moyen Age, cela me parait parfaitement légitime.
    Il en est de même pour les méthodes de tracking visant à repérer les personnes que les individus contaminés ont rencontré: à condition que la durée de ce tracking soit strictement limité à celle de l'épidémie, il me parait parfaitement légitime.

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  3. Attention: le commentaire antérieur a été publié par erreur sous le nom de PROSYST (l'association dont nous nous occupons), alors qu'il aurait du être publié sous le mien

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