Monday 24 December 2018

LA REFORME IMPOSSIBLE DE L'ETAT

Plus le mouvement des gilets jaunes avance, plus je suis convaincu que l'élément explicatif fondamental de cette révolte est le "ras le bol fiscal": les deux phrases que l'on entendait le plus fréquemment sur les ronds points étaient: "où va notre argent?" et "on n'en a pas pour son argent". Bien sûr, par la suite, sont venues se greffer toutes sortes de revendications qui ont maintenant tendance à partir dans tous les sens, depuis la démission de Macron jusqu'au référendum d'initiative citoyenne. Ces revendications qui au départ étaient secondaires occupent maintenant le devant de la scène, suivant la dynamique propre à ce type de mouvement dans lesquels plus on est radical, plus on est écouté, d'où la difficulté actuelle à le terminer. Mais pour moi, il est évident que le niveau de popularité impressionnant qu'il a atteint ne peut être expliqué que par ce ras le bol fiscal: tout le monde ne souhaite pas la révolution, la majorité des français préfèrent la stabilité des institutions, le R.I.C. n'est pas leur préoccupation principale; par contre, tout le monde se pose des questions sur les dépenses de l'état et l'utilisation de nos impôts.

Et nous trouvons là effectivement le grand paradoxe français: alors que les statistiques internationales viennent de nous annoncer que la France est le pays (au moins parmi les pays développés) où les prélèvement obligatoires et les dépenses publiques sont les plus élevés, et bien que ces prélèvements obligatoires ne soient pas suffisants puisque chaque année le budget est en déficit, obligeant l'Etat à s'endetter encore davantage, ce que l'on constate est que les prestations que l'Etat fournit aux citoyens sous la forme de services publics, ne font que se dégrader, et sont souvent de qualité très inférieure à celle que l'on rencontre dans des pays ayant pourtant une fiscalité plus faible.

J'ai déjà eu l'occasion dans d'autres articles de citer de nombreux exemples que j'ai pu observer lors de déplacements dans des pays voisins de la France (Allemagne, Espagne), où certains services publics (en matière de santé, de transport, d'éducation) sont d'une qualité très supérieure à ce que nous constatons chez nous.

Il y a donc là, de façon évidente, la preuve d'un manque flagrant d'efficience dans la façon dont les dépenses de l'Etat sont gérées et les services publics sont administrés. A la limite, on pourrait dire que le problème principal n'est pas le niveau élevé des dépenses publiques (bien que personnellement, je sois convaincu qu'un tel niveau est nocif pour un bon fonctionnement de l'économie en retirant des ressources au secteur privé); mais après tout, si les français expriment collectivement une préférence pour une socialisation complète de dépenses dont certaines (par exemple en matière de protection sociale ou d'éducation) pourraient être à la charge des individus, il est normal que cette préférence se traduise par un niveau élevé de dépenses publiques; mais à condition, comme dit plus haut, que nous en ayons pour notre argent, et donc que ce niveau élevé des dépenses publiques se traduise par un meilleur niveau que dans les autres pays des prestations dont nous bénéficions, ce qui n'est pas le cas.

On  nous dit que le quinquennat de Macron est déjà achevé, et que dans le contexte actuel, il ne pourra désormais mener aucune réforme d'envergure. Pourtant, jamais la réforme de l'Etat n'a été aussi nécessaire et aussi urgente.

C'est pourquoi, en ayant il est vrai une certaine dose d'optimisme, on peut peut-être espérer que le grand "dialogue national" qui va s'ouvrir en début d'année prochaine, soit l'occasion d'organiser un grand débat sur les dépenses de l'Etat pouvant aboutir à une réforme radicale de son mode de fonctionnement.

Les éléments de ce débat pourraient être les suivants:
- le ras le bol fiscal exprimé par une majorité de français est justifié; il est essentiel de procéder à des baisses d’impôts afin de ramener les prélèvements fiscaux en France à un niveau proche de celui constaté chez nos partenaires européens
- une telle diminution de la pression fiscale n'est possible que dans la mesure où l'on parvient à procéder à une véritable diminution des dépenses absolues (et non, comme cela a été le cas jusqu'à présent, à un simple ralentissement de leur rythme de croissance)
- une diminution importante des dépenses publiques ne pourra pas être obtenue par de simples "coups de rabot" sur les prestations sociales, ou une chasse aux gaspillages, qui est toujours utile mais n'ira jamais très loin si l'on ne change pas la logique même de fonctionnement de l'Etat et de sa bureaucratie.

Les moyens pour parvenir à une telle diminution des dépenses publiques sont bien connus; ils ont été mis en oeuvre depuis des années avec succès dans de nombreux pays tels que la Suède, le Canada, la Nouvelle-Zélande, la Grande Bretagne.

La première étape consisterait à définir quels sont les objectifs primordiaux de l'Etat, quels sont les missions qu'il doit impérativement assurer lui-même, et quels sont ceux qui pourraient être soit purement et simplement abandonnés (parce qu'ils ne répondent plus à des besoins réels), ceux qui pourraient être privatisés, ceux qui pourraient être assurés au moyen d'une mis en concurrence entre les services de l'Etat et l'initiative privée, ceux qui seraient mieux assurés au plus près des citoyens par les collectivités locales etc. La littérature administrative fourmille d'exemples de politiques publiques dans lesquelles l'Etat central, les Régions, les départements, les communes, se répartissent les mêmes missions, ce qui entraîne une confusion des responsabilités, une duplication des moyens et une augmentation des coûts.

Un autre exemple très disant de l'énorme complexité de l'Etat et du secteur public en dépendant est ce qui est en train de se passer pour l'exonération de la hausse de la CSG pour les retraités gagnant moins de 2000 euros. A priori, une telle décision ne parait pas très difficile à mettre en oeuvre. Pourtant, on nous annonce que cette mesure ne pourra devenir effective que dans 6 mois, en raison de la grande complexité de l'ensemble des caisses de retraite versant celles-ci. N'y a t'il pas là un bon exemple de ce qui pourrait être obtenu en procédant à une rationalisation et une simplification radicale du système? 

Une fois bien défini le périmètre d'intervention de l'Etat et celui des collectivités locales, la deuxième étape devrait consister à confier chacune des missions à des agences indépendantes, qui devraient s'affranchir des règles pesantes de la bureaucratie: il s'agirait d'agences dirigées par un manager, recruté en fonction de ses compétences de gestionnaire, responsable sur les résultats obtenus, et disposant d'une liberté totale pour administrer l'enveloppe globale qui serait attribuée à son agence: cela signifie évidemment liberté de recrutement du personnel (qui ne serait pas constitué de fonctionnaires), liberté des méthodes employées, liberté de répartir les dépenses entre dépenses de personnel, services extérieurs (par le recours à la sous-traitance), investissement etc. , et évaluation permanente des résultats obtenus avec des mécanismes d'intéressement du personnel en fonction de ces résultats.

Il s'agirait en somme, pour reprendre la terminologie consacrée, de "changer l'ADN de l'administration", et de séparer le gouvernail (les fonctions de conception des politiques publiques, confiées à un petit noyau de fonctionnaires travaillant en liaison avec les politiques) des fonctions d'exécution (les agences indépendantes, dans lesquelles les règles de l'administration et de la fonction publique ne s'appliqueraient plus, et qui fonctionneraient selon des méthodes proches de celles du secteur privé).

Il y a là évidemment un projet assez révolutionnaire, devant lequel ont buté jusqu'à présent tous les gouvernements qui se sont succédés. Mais le problème a toujours été que les timides tentatives pour réformer les mode de fonctionnement de l'Etat ont toujours été menées par des hauts fonctionnaires qui, par leur nature et leur formation répugnent à remettre en cause les règles héritées du passé.

Le dialogue qui doit s'ouvrir dans les prochaines semaines, dans lequel l'examen de l'ensemble des dépenses publiques est l'un des thèmes qui doivent être abordés, pourrait être l'occasion de lancer des idées dans le sens que je viens d'indiquer. Bien sûr, je ne me fais pas d'illusions, une réforme complète de l'Etat ne sortira pas toute armée de ces discussions. Mais l'avantage est que pour une fois, les interlocuteurs de l'Etat ne seront pas des syndicalistes idéologisés pour lesquels tout ce qui rappelle le fonctionnement du secteur privé est l'enfer, mais des hommes et des femmes provenant de tous milieux, souvent du secteur privé, et qui peuvent comprendre que si l'on veut que l'Etat cesse d'être le gouffre financier qu'il est devenu, seule une réforme radicale de son mode de fonctionnement y parviendra.


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