Wednesday 19 December 2018

LE R.I.C.: une fausse bonne idée

Depuis quelques jours, la presse, reprenant servilement le mot d'ordre lancé par une partie (très certainement minoritaire au départ) des gilets jaunes, n'a plus à la bouche que le Référendum d'Initiative Citoyenne (R.I.C.), comme si c'était l'outil qui va, par un coup de baguette magique, régler l'ensemble des problèmes de notre pays. A tel point que notre premier ministre Edouard Philippe (qui marche en ce moment sur des œufs et ne veut surtout pas aller à l'encontre de ce qui parait être l'opinion dominante, a fini par admettre que c'était peut-être une bonne idée, qui en tout cas devrait être approfondie lors du "grand dialogue citoyen" qui parait-il va s'ouvrir prochainement.

Et effectivement, quoi de plus démocratique que de donner la parole au peuple souverain, de lui permettre non seulement d'exprimer ses opinions mais même de prendre des décisions s'imposant aux gouvernants, et cela dans les domaines les plus variés, y compris, selon ce qui est proposé actuellement, en matière constitutionnelle ou au sujet de traités internationaux?

L'exemple souvent cité est celui de la Suisse, où effectivement la formule du référendum d'initiative populaire est largement utilisée, avec toutefois des différences sensibles par rapport à ce qui est proposé en France: par exemple, ces "votations" ne permettent pas de révoquer un élu, ni de proposer une nouvelle loi, mais seulement d'annuler une loi existante.

Mais surtout, l'immense différence entre nos deux pays est qu'en Suisse, il n'y a pas comme en France un système politique classique, avec majorité et opposition, mais ce que les constitutionnalistes appellent un régime d'assemblée, dans lequel l'exécutif est un organe collectif de 7 membres qui représente non pas le parti ou la coalition majoritaire au Parlement, mais l'ensemble des forces politiques présentes au sein de celui-ci: imaginons un gouvernement dans lequel seraient représentés le RN, les Républicains, la REM et les Insoumis, avec en outre un dosage savant visant à assurer une représentation équitable de la diversité linguistique et religieuse du pays! Il s'agit donc d'un système qui oblige pratiquement les forces politiques du pays à adopter non pas un comportement de lutte partisane et d'opposition systématique, mais au contraire de collaboration, de négociation, de recherche du compromis et du consensus.

Cet esprit de compromis imprègne toute la vie politique suisse, y compris dans la pratique des référendums:  les questions qui y sont posées portent essentiellement sur des aspects très terre-à-terre, de la vie de tous les jours, et reflètent le consensus profond de l'ensemble de la société sur l'organisation générale de la société; on est bien loin des conflits de type idéologique qui font les délices de la vie politique française. D'ailleurs les réponses données aux questions posées démontrent la grande modération de l'électorat suisse, sa grande maturité notamment en matière économique, et son refus des solutions de type populiste: c'est ainsi qu'en 2014, les électeurs suisses ont rejeté à une large majorité (seulement 23% de oui) la fixation d'un salaire minimum élevé, conscients des répercussions qu'aurait eu une telle augmentation sur l'emploi.

Imagine t'on quelle serait la réponse de l'électorat français à une telle réponse? Peut-on croire une seule seconde que la rationalité économique pourrait l'emporter, dans le climat de haine des riches et des "gros", de lutte des classes attisée par les partis extrémistes, qui prévaut dans notre pays? Quelle serait par exemple la réponse à un référendum d'initiative populaire proposant le rétablissement de la peine de mort survenant à la suite d'un assassinat particulièrement horrible d'enfant? On peut parier sans beaucoup de risque que la réponse serait oui.

Notre pays a vécu jusqu'à présent en respectant les règles de la démocratie représentative, qui a permis l'instauration d'un régime libéral, respectueux des droits des minorités; l'instauration d'une démocratie plébiscitaire, dont le meilleur instrument serait le référendum d'initiative populaire, signifierait la dictature de la majorité, soumise aux pires excès du populisme. 

Cela ne signifie pas que l'introduction de mécanismes de démocratie directe, notamment au niveau local, pour consulter la population sur des décisions concrètes, par exemple d'aménagement du territoire, soit inutile; les possibilités d'organiser la consultation et la participation des citoyens aux décisions collectives, notamment grâce aux ordinateurs, sont multiples et peuvent être expérimentées avec profit. Mais de grâce, évitons d'accroître le climat de pré-guerre civile que nous connaissons actuellement en ouvrant la boite de Pandore de ce R.I.C. qui est la porte ouverte à toutes les aventures.


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